Emilie Grace Lavoie | Sensibilisation au quotidien: la démarche artistique de Suzanne Cormier
This article is published in English in Issue 11 Psyche, available for purchase HERE.
Comme de nombreuses facettes de la maladie mentale, la dépression et l'anxiété s'accompagnent souvent de stigmatisation et de malentendus, malgré un grand nombre de personnes qui vivent avec ces conditions. En s'appuyant sur leurs expériences directes, les artistes peuvent réussir à démystifier certains aspects de cette réalité. C'est le cas de l'artiste émergente Suzanne Cormier. Originaire de Moncton, elle a obtenu en 2018 un baccalauréat en arts visuels de l'Université de Moncton. Ses recherches visuelles en peinture et en gravure reposent sur une expérience personnelle du quotidien.
C'est durant son parcours universitaire que Suzanne a ressenti la liberté de créer et de discuter ouvertement de sujets personnels. Ainsi, elle entame une recherche laborieuse, inspirée par sa lutte récurrente, qui teint depuis plusieurs années son quotidien. Pour l'artiste, les défis liés à la dépression et à l'anxiété nécessitent de prendre des médicaments pour assurer l'équilibre. Cependant, prendre ce médicament n'est pas aussi facile lorsque des perceptions et des jugements extérieurs s'ajoutent à une lutte continue qui l'occupe.
Dans une première série, Au quotidien / Take Daily (2016), Suzanne dépeint sur plusieurs panneaux une série de médicaments prescrits pour l'anxiété et la dépression. Ces sérigraphies sont disposées selon une grille semblable à un calendrier. Sur certaines œuvres, on remarque que des éléments particuliers sont masqués par la broderie. Nous notons également que la quantité de médicaments présentés n'est pas constante. Ces petits indices nous amènent à comprendre que chaque jour est très différent et que cette grille est loin d'être parfaite. Pour l'artiste, les détails méthodiques sont la documentation des jours les plus difficiles et reflètent les moments où un changement de dose peut avoir été nécessaire.
Alors que cette série était produite en studio, ses collègues de classe avaient déjà des commentaires et de nombreuses questions. Les discussions générées ont permis à Suzanne de s'exprimer, de partager ses expériences et d'avoir un impact positif sur sa vie quotidienne et celle des autres. C'est par la communication que les stigmas sont démystifiés; provoquant un changement de perception d'une personne à l'autre.
Dans une deuxième série née de la première, l'immensité de la sérigraphie recouvre un mur entier. L'agencement des éléments colorés dans À la recherche du Cocktail (2018) produit un motif qui rappelle un papier peint rétro. Cette fresque gigantesque et ambitieuse laisse le spectateur submergé par la complexité des éléments, l'ampleur de l'effort artistique et le poids de la quête perpétuelle de la dose parfaite. Un paradoxe surgit entre le rythme précis de la composition et le chaos écrasant du contenu conceptuel.
Pour certains, le travail de Suzanne peut être considéré comme une critique des sociétés et compagnies pharmaceutiques, tandis que pour d’autres, il s’agit d’une manière de décrire une réalité peu discutée mais habitée par beaucoup. Le sujet fait écho non seulement aux personnes touchées par des problèmes de santé mentale, mais aussi à celles touchées par des maladies chroniques. Cette polyvalence la rend d'autant plus pertinente aujourd'hui.
Lorsque nous trouvons notre voix, celle qui nous permet de nous libérer et de nous ouvrir à travers la création, nous sommes calmés et en contrôle. Avec sa générosité artistique et son dévouement évident à l'éducation en santé mentale, Suzanne réussit à sensibiliser et à provoquer un changement de perspective significatif. Cette artiste est une inspiration qui, même dans les moments de vulnérabilité, possède une force capable d'avoir un grand impact. Ses créations communicatives savent questionner et évoquer. Suzanne poursuit actuellement des études en éducation, où son dévouement et son ouverture vont sans aucun doute influencer une jeune génération à repousser les limites et les possibilités des arts.
—Emilie Grace Lavoie Artiste, Commissaire et Membre du Collectif 3E @emiliegracelavoie
Suzanne Cormier
@suzannecormierart
Photography by Hailley Fayle