[Enviro] Éveline Gallant Fournier | Un Art bien enraciné
Land art
La nature est en moi et je suis en elle.
Je ne sais pas si j’ai été inspirée par la nature ou séduite par elle. Je suis née sur une ferme, les voisins les plus proches vivant à des kilomètres. Des jardins immenses, la cueillette de fruits sauvages l’été et des baignades à la rivière plusieurs fois par jour durant les canicules; en hiver, être enneigée des jours durant; travailler très dur, entourée d’animaux sauvages et domestiques… tout cela faisait partie de ma vie quotidienne. Cette éducation par Mère Nature est à la base de qui je suis. La nature m’a toujours attirée comme une fleur attire une abeille dans l’intimité de son cœur. Je suis bien branchée sur elle.
En tant qu’artiste, j’utilise des souches d’arbres ou des roches comme piédestaux. Je visualise des champs de foin, des plages et des écosystèmes entiers comme espaces d’exposition. Au fil des ans, j’ai eu deux approches principales pour mon land art :
La forme la plus pure utilise uniquement les matériaux trouvés sur place. En plus, j’utilise les contours, les aspérités du sol, les contrastes et les perspectives du paysage. J’aime l’aspect temporaire et les défis de travailler avec des matériaux et des moyens très limités. Ces œuvres n’existent que pour peu de temps avant que je disperse les matériaux, tels que je les ai trouvés en quittant le site.
D’autre part, pour les installations éphémères, j’apporte les matériaux dans la nature. Ces projets sont souvent des réflexions poétiques ou visuelles sur la protection de l’environnement, et la plupart de ces installations évoluent au fil des ans. La migration de celles-ci est une partie importante de mon processus, tout comme le recyclage des matériaux dans de nouvelles installations ou compositions. Le jour même de leur création, les œuvres sont documentées, puis démontées et retirées du site, sans laisser de trace. Les photos en sont le seul testament.
Capteurs de graines
Les graines sont des capsules magiques, détenant le pouvoir de devenir des formes merveilleuses. Elles me rappellent les femmes et la maternité; elles se gonflent, s’ouvrent, et donnent naissance.
Mon amour pour les graines a commencé à un très jeune âge quand ma mère m’a appris à les collectionner et les entreposer. Lors de réunions de famille, j’ai observé avec beaucoup de curiosité les femmes de ma famille – ma mère, mes tantes et ma grand-mère – qui partageaient leurs graines. Elles les donnaient ou les échangeaient, en utilisant des mouchoirs de coton, des enveloppes de papier ou des petites bouteilles qui jaillissaient miraculeusement de leurs sacs à main.
Le projet Capteurs de graine a commencé à l’été 2013 et se poursuit encore aujourd’hui. Ces installations recyclées/recomposées/restituées se déplacent d’un endroit à l’autre, dans des écosystèmes naturels et urbains, cueillant symboliquement des graines emportées par les vents de la Terre.
Avec l’avènement des modifications génétiques, des brevets de semences et des semences dites «terminators » qui donnent des plantes stériles, le geste de sauver des graines est menacé, tout comme la nature fondamentale des plantes. De même, les espèces non indigènes envahissantes menacent l’équilibre et la biodiversité des écosystèmes, comme Heracleum mantegazzianum, la berce du Caucase géante dont la sève toxique provoque des brûlures au deuxième degré.
Mes capteurs de graines amorcent un dialogue sur les questions environnementales. Ils parlent de l’affaiblissement des écosystèmes, de la perte de plantes indigènes avec leurs propriétés uniques, thérapeutiques et médicinales, de la disparition de variétés de plantes indispensables et liées dans des danses symbiotiques avec d’autres formes de vie. Mon espoir est de semer un questionnement dans l’esprit des gens, un questionnement sur nos relations et nos actions envers la vie botanique.
Pour ma part, je prends soin d’une grande variété de fleurs, d’herbes et d’arbres fruitiers chez moi à Edmundston. Dans mon grand potager, je cultive, donne et conserve de nombreuses plantes anciennes à pollinisation libre. Je soutiens les passionnés de semences locales et suis généreuse en partageant mes connaissances et ma passion. Partout où je vais, je recueille et offre des semences. Les semences sont, et resteront profondément ancrées dans mon cœur et dans mon être tout entier.
Éveline Gallant Fournier
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